Guide des Filtres en Astrophotographie : Quel Filtre Choisir pour Vos Photos du Ciel Profond ?
Si vous me suivez depuis un moment, vous savez que je martèle une règle d’or en photographie : une image réussie se construit d’abord à la prise de vue, pas en post-traitement. Aujourd’hui, je vais vous parler d’un élément crucial pour y parvenir en astrophoto : les filtres.
Prenez un instant pour réfléchir à vos photos de paysage. Vous savez, ce moment où vous utilisez un polarisant pour révéler les détails d’un ciel ou éliminer les reflets gênants sur l’eau ? Ou quand vous ajoutez un filtre ND pour ces poses longues qui donnent un effet soyeux à l’eau ? En astrophoto, c’est la même logique, mais poussée à l’extrême.
Je me souviens de mes premières photos du ciel profond, prises sans filtre approprié. J’ai passé des heures en post-traitement, essayant désespérément de faire ressortir les détails de mes nébuleuses noyées dans la pollution lumineuse. Une bataille perdue d’avance : comme en photo classique, aucun post-traitement, même le plus sophistiqué, ne peut créer des détails qui n’ont pas été capturés.
Dans nos villes modernes où les lampadaires au sodium et au mercure inondent le ciel de leur lumière parasite, le choix du bon filtre n’est plus optionnel : c’est la base d’une image astronomique réussie. Et croyez-moi, le temps que vous “perdrez” à choisir et utiliser le bon filtre, vous le regagnerez largement en post-traitement.
Dans cet article, je vais partager avec vous :
- Les filtres essentiels pour l’astrophoto avec un capteur CMOS
- Comment choisir le bon filtre selon votre cible et vos conditions d’observation
- Mes conseils pour optimiser vos temps de pose selon vos choix de filtres
Mon objectif ? Vous éviter les erreurs que j’ai faites et vous permettre d’obtenir directement la matière première nécessaire pour créer ces images astronomiques dont vous rêvez.
Pourquoi des filtres?
Imaginez-vous en train de photographier un concert dans une salle baignée de lumières parasites rouges et vertes. Votre sujet principal – le musicien – est là, mais noyé dans un océan de lumières indésirables. C’est exactement ce qui se passe quand vous photographiez le ciel profond : vos cibles astronomiques sont littéralement noyées dans la pollution lumineuse de nos villes.
Le défi de la pollution lumineuse
Nos capteurs CMOS modernes sont incroyablement sensibles, c’est vrai. Mais ils captent TOUT, sans distinction : la belle lumière de votre nébuleuse… et les horribles raies de sodium des lampadaires. Sans filtre, c’est comme si vous essayiez d’entendre un violoniste dans une rue bondée : le signal est là, mais complètement masqué par le bruit ambiant.
Et la situation empire. Avec le passage aux LED, qui émettent sur un large spectre, même les meilleurs filtres atteignent leurs limites. Contrairement aux anciennes lampes au sodium qui émettaient sur des raies précises qu’on pouvait facilement filtrer, les LED polluent l’ensemble du spectre visible. La seule vraie solution ? Les éteindre !
Si comme moi vous habitez dans une petite ville, vous pouvez agir. De nombreuses communes expérimentent déjà l’extinction partielle de l’éclairage public en milieu de nuit. Non seulement c’est bon pour l’astronomie, mais ça permet aussi de réduire la facture énergétique et de préserver la biodiversité nocturne. N’hésitez pas à contacter votre mairie ou à rejoindre des associations comme l’ANPCEN (Association Nationale pour la Protection du Ciel et de l’Environnement Nocturnes) qui œuvrent pour la préservation du ciel nocturne.
En attendant que ces initiatives se généralisent, parlons des filtres qui peuvent nous aider à tirer le meilleur de nos conditions actuelles…
Au-delà de la pollution
Mais les filtres ne servent pas qu’à combattre la pollution lumineuse. Certains objets célestes, comme les nébuleuses, émettent leur lumière sur des longueurs d’onde très spécifiques. En isolant précisément ces longueurs d’onde, on peut révéler des détails invisibles autrement. C’est comme si vous pouviez, dans notre concert, isoler uniquement le son du violon, en supprimant tous les autres instruments.
L’importance des données brutes
J’insiste souvent sur ce point : on ne peut pas créer des détails qui n’existent pas.
En post-traitement, je peux :
- Ajuster le contraste
- Équilibrer les couleurs
- Réduire le bruit
Mais je ne peux pas :
- Faire apparaître des détails non capturés
- Séparer des signaux confondus
- Récupérer des données noyées dans le bruit
C’est là que les filtres font toute la différence : ils vous permettent de capturer uniquement la lumière qui compte, dès la prise de vue.Alors oui, les filtres représentent un investissement. Mais croyez-moi, c’est un investissement dans la qualité de vos données brutes. Et avec de bonnes données brutes, le post-traitement devient un plaisir plutôt qu’une bataille.
La Lumière des Objets Célestes
Avant de plonger dans les filtres, il est essentiel de comprendre ce que nous cherchons à capturer. La lumière visible n’est qu’une infime partie du spectre électromagnétique. Pour vous donner une idée, si le spectre électromagnétique était une fenêtre de 30 millions de kilomètres, la lumière visible n’en représenterait que 3 centimètres !
Le Spectre Électromagnétique
Voici les principales bandes qui nous intéressent en astrophotographie :
- Ultraviolet : 10-390nm
- Lumière visible : 390-750nm
- Proche infrarouge : 750nm-1mm
Dans le visible, on trouve :
- Violet : ~400nm
- Bleu : ~450nm
- Vert : ~500nm
- Jaune : ~580nm
- Rouge : ~650nm
Si vous voulez en savoir plus, vous pouvez regarder ce site d’Astro Canada
Que Regardons-Nous ?
Les Nébuleuses en Émission
Elles émettent principalement sur des raies spécifiques :
- H-alpha : 656,3nm (rouge)
- OIII : 495,9nm et 500,7nm (bleu-vert)
- SII : 672,4nm (rouge profond)
Les Galaxies
Elles émettent sur un spectre continu, comme notre Soleil. C’est pourquoi les filtres à bande étroite ne sont pas adaptés pour elles.
Les Étoiles
Leur couleur dépend de leur température :
- Les plus chaudes émettent plus dans le bleu
- Les plus froides émettent plus dans le rouge
C’est cette compréhension des longueurs d’onde qui va nous permettre de choisir les bons filtres pour nos cibles. Maintenant, parlons de ces filtres…
Les Filtres en Astrophoto CMOS
Le Filtre IR-Cut : La Base Indispensable
Votre appareil photo numérique en possède déjà un, intégré devant son capteur. Mais en astrophoto, surtout si vous utilisez une caméra dédiée, il faut parfois en ajouter un.
Pourquoi ? Tout simplement parce que nos capteurs CMOS sont très sensibles à l’infrarouge, bien au-delà de 700nm. Sans IR-Cut, vos étoiles ressembleraient à des taches floues et vos images manqueraient cruellement de netteté.
Ce n’est pas un hasard si tous les télescopes “intelligents” du marché (Dwarf II, Dwarf III, Seestar S30, S50) intègrent d’office un filtre IR-Cut. La mise au point automatique serait impossible sans lui ! En effet, l’infrarouge ne se focalise pas au même point que la lumière visible. Sans IR-Cut, l’autofocus serait perdu entre la mise au point visible et infrarouge, rendant impossible l’obtention d’images nettes. C’est la base de toute image astronomique réussie.
Les Filtres Multi-bandes : Le Meilleur Compromis
Ces filtres permettent de faire de bonnes images en une seule session. Ils se déclinent en plusieurs variantes :
- Le CLS (Clear Light Sky) : Le plus permissif. Il laisse passer une large bande de 450 à 540nm, plus une fenêtre au-delà de 650nm. Idéal pour les galaxies en zone moyennement polluée. C’est souvent le premier filtre qu’on achète après l’IR-Cut.
- L’UHC (Ultra High Contrast) : Plus sélectif, il se concentre sur les principales raies d’émission des nébuleuses (H-alpha à 656,3nm et OIII à 495,9/500,7nm). Un bon compromis pour les nébuleuses en zone polluée.
- Le L-eNhance : Encore plus sélectif que l’UHC, avec une bande passante de 24nm autour des raies importantes (H-alpha, OIII et H-beta). Un filtre qui fait rêver pour les nébuleuses en zone très polluée, mais son prix reste un frein certain ! Je n’ai pas encore franchi le pas, mais les résultats que j’ai pu voir sont vraiment impressionnants.
- Le L-eXtreme : Le plus sélectif, avec seulement 7nm autour de H-alpha et OIII. Réservé aux zones très polluées et aux nébuleuses brillantes.
Les Filtres Narrowband : Pour Aller Plus Loin
Ces filtres ultra-spécialisés ne laissent passer qu’une seule raie d’émission :
- H-alpha (656,3nm) : Pour la lumière rouge des nébuleuses
- OIII (495,9/500,7nm) : Pour les détails bleu-vert
- SII (672,4nm) : Pour certains filaments rouges
L’inconvénient ? Il faut faire plusieurs sessions pour capturer toutes les longueurs d’onde. L’avantage ? Une sélectivité incomparable et la possibilité de créer ces fameuses images “style Hubble” en combinant Ha, OIII et SII.
Impact sur les Temps de Pose
Plus un filtre est sélectif, plus il faut poser longtemps. Voici un ordre de grandeur par rapport à une pose sans filtre :
- CLS : x1.5 à x2
- UHC : x2 à x3
- L-eNhance : x3 à x4
- L-eXtreme : x4 à x5
- Filtres narrowband : x4 à x6
Si vous préférez augmenter le gain plutôt que le temps de pose, voici les équivalences approximatives :
- Doubler le temps = Augmenter le gain de 6dB
- Tripler le temps = Augmenter le gain de 10dB
- Quadrupler le temps = Augmenter le gain de 12dB
Attention cependant : augmenter le gain augmente aussi le bruit. Je préfère personnellement allonger le temps de pose quand c’est possible, et n’augmenter le gain qu’en dernier recours, par exemple quand la monture limite les temps de pose possibles. Malheureusement, avec les smarts télescopes, le temps de pause est rapidement limité.
Ces facteurs sont indicatifs et dépendent beaucoup de votre cible et de vos conditions d’observation. N’hésitez pas à expérimenter !
Guide Pratique de Choix
Évaluez Votre Pollution lumineuse
La première étape est d’évaluer votre niveau de pollution lumineuse. Vous verrez souvent sur des groupes/forum l’échelle de Bortle :
- Bortle 1-3 : Site dark sky (chanceux !)
- Bortle 4-6 : Pollution modérée (banlieue, petite ville)
- Bortle 7-9 : Forte pollution (centre-ville)
Mais pour connaître précisément le niveau de pollution lumineuse de votre site d’observation, plusieurs outils sont à votre disposition :
En ligne
Le site de référence est lightpollutionmap.info, créé par l’astronome Jurij Stare. Il propose :
- Une cartographie précise basée sur les données satellitaires
- Une résolution d’environ 500m par pixel
- La possibilité d’ajouter vos propres mesures
- Une visualisation par classes de radiance (zones rouges = forte pollution)
Sur Smartphone
- Android : Light Pollution Map, Clear Outside, Dark Sky Finder
- iOS : Light Pollution Map – Dark Sky, Dark Sky Finder, Clear Outside
Ces applications vous permettront non seulement de connaître la pollution lumineuse de votre position actuelle, mais aussi de trouver les zones sombres les plus proches pour vos sessions d’astrophotographie.À noter que certaines communes expérimentent l’extinction des lumières la nuit, ce qui peut créer des opportunités d’observation non visibles sur ces cartes. N’hésitez pas à vous renseigner auprès de votre mairie ou regarder la carte de l’ASPEN des “villes et villages étoilés”!
Identifiez Votre Cible
Les besoins en filtrage varient radicalement selon ce que vous voulez photographier :
- Galaxies : spectre continu, besoin de toute la lumière possible
- Nébuleuses : émission sur des raies spécifiques
- Amas d’étoiles : comme les galaxies, spectre continu
L’Arbre de Décision Pour Choisir Votre Filtre
En zone peu polluée (Bortle 1-3)
- Galaxies/Amas : IR Cut seul
- Nébuleuses :
- Session unique : UHC
- Sessions multiples : Ha/OIII/SII
En zone moyennement polluée (Bortle 4-6)
- Galaxies/Amas : CLS
- Nébuleuses :
- Session unique : L-eNhance ou UHC
- Sessions multiples : Ha/OIII/SII
En zone très polluée (Bortle 7-9)
- Galaxies/Amas : CLS (mais résultats limités)
- Nébuleuses :
- Session unique : L-eXtreme
- Sessions multiples : Ha/OIII/SII
Recommandations par Type d’Objet
Allez, je vais vous aider à vous lancer ! J’ai sélectionné 10 cibles classiques, celles qu’on photographie souvent en début de parcours astrophoto. Pour chacune, je vais vous suggérer les filtres à utiliser selon votre niveau de pollution lumineuse.
Ces recommandations ne sont pas gravées dans le marbre, mais elles constituent une base de départ. Avec l’expérience, vous affinerez vos choix en fonction de votre matériel, de vos conditions précises d’observation et de vos préférences personnelles.
J’ai organisé tout ça en trois tableaux, selon le niveau de pollution lumineuse de votre site. Pour chaque objet, vous trouverez son type (galaxie, nébuleuse, amas) et le ou les filtres que je recommande pour commencer.
En Zone Peu Polluée (Bortle 1-3)
Objet | Type | Recommandation |
---|---|---|
M31 Andromède | Galaxie Spirale | IR Cut seul |
M33 Triangle | Galaxie Spirale | IR Cut seul |
M51 Whirlpool | Galaxie Spirale | IR Cut seul |
M101 Moulinet | Galaxie Spirale | IR Cut seul |
M45 Pléiades | Amas Ouvert | IR Cut seul |
M13 Hercule | Amas Globulaire | IR Cut seul |
M42 Orion | Nébuleuse en émission | IR Cut ou UHC |
M8 Lagune | Nébuleuse en émission | IR Cut ou UHC |
M27 Haltère | Nébuleuse Planétaire | IR Cut ou UHC |
En Zone Moyennement Polluée (Bortle 4-6)
Objet | Type | Recommandation |
---|---|---|
M31 Andromède | Galaxie Spirale | CLS |
M33 Triangle | Galaxie Spirale | CLS |
M51 Whirlpool | Galaxie Spirale | CLS |
M101 Moulinet | Galaxie Spirale | CLS |
M45 Pléiades | Amas Ouvert | CLS |
M13 Hercule | Amas Globulaire | CLS |
M42 Orion | Nébuleuse en émission | UHC |
M8 Lagune | Nébuleuse en émission | UHC |
M27 Haltère | Nébuleuse Planétaire | UHC |
M57 Anneau | Nébuleuse Planétaire | UHC |
En Zone Très Polluée (Bortle 7-9)
M31 Andromède | Galaxie Spirale | CLS, résultats limités |
M33 Triangle | Galaxie Spirale | CLS, résultats limités |
M51 Whirlpool | Galaxie Spirale | CLS, résultats limités |
M101 Moulinet | Galaxie Spirale | CLS, résultats limités |
M45 Pléiades | Amas Ouvert | CLS, résultats limités |
M13 Hercule | Amas Globulaire | CLS, résultats limités |
M42 Orion | Nébuleuse en émission | L-eNhance ou L-eXtreme |
M8 Lagune | Nébuleuse en émission | L-eNhance ou L-eXtreme |
M27 Haltère | Nébuleuse Planétaire | L-eNhance |
M57 Anneau | Nébuleuse Planétaire | L-eNhance |
Cette approche par tableaux permet de voir rapidement quels filtres utiliser selon vos conditions d’observation et votre cible. N’oubliez pas que ces recommandations sont des points de départ – votre expérience et vos conditions spécifiques vous guideront vers les meilleurs choix pour votre situation.